02 - Le Contexte

passage obligé

LONDRES, 1984

C’est un jeudi pluvieux comme un autre. Les vêtements encore un peu humides, tu frissonnes et tu t’engouffres dans la station de métro la plus proche, comme des millions d’autres Londoniens. Ton casque d’écouteurs sur la tête, le regard rivé au sol, tu descends les marches et parcours les kilomètres de corridors qui te mèneront enfin au quai désiré.
Walk on left. Stand on right, they say.
Qui oserait désobéir aux codes, sous ce gouvernement ? Tu réfléchis, distraitement. À ta vie. À tes amours, ta famille. À ta carrière et à tes potes qui t’attendront peut-être plus tard, au pub. Tu remarques à peine les autres voyageurs, autour de toi. Quels sont leurs secrets, à eux ? Pourquoi y songer ? Ce ne sont que des étrangers, non ? Tu as à peine remarqué que le changeur n’était pas là. Tant mieux, tu n’as pas eu à payer ton passage ce coup-ci. Mais que fait le personnel? Les quais sont jonchés de journaux…

Et puis, ta musique saute. Ennuyé, tu ouvres ton Walkman pour vérifier le ruban et retourner la cassette sur le côté B. C’est alors qu’un son strident se fait entendre dans les hauts-parleurs du réseau. Tout le monde sur le quai lève la tête, alarmé. Encore une alerte à la bombe ? Est-ce la IRA, ce coup-ci ?

Ladies and gentlemen… Toi, tu t’apprêtais à lever les yeux au ciel mais la suite te laisse complètement bouche-bée. Ce ne sont pas les messages trop polis qui invitent les usagers à prudence habituelle, non. C’est la vie glauque et tordue du mec en costume-cravate, sur le quai d’en face, un avocat soi-disant reconnu et fortuné, qui résonne partout contre les murs de la station. Une affaire sordide impliquant une mineure. Tant d’obscénités, sous ce lustre de politesse toute british. Et lorsque tu baisses la tête, gêné, tu te rends compte que les journaux, étalés à tes pieds confirment les propos ignobles de l’enregistrement… qui continue comme si rien ne s’était passé, malgré la détresse de la victime du jour qui tangue vers le gouffre à ses pieds alors que le train s’engage sur la voie.

And please…
Mind the Gap.